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MANAGER, UN SPORT DE HAUT NIVEAU…

 

Plus pertinente que la métaphore guerrière, la métaphore sportive apporte une grille de lecture décalée et riche sur les pratiques managériales et la vie d'entreprise. Le sport, un outil de décryptage et d'anticipation ? Explications avec Christian Avezard.

 

 

POURQUOI LE SPORT EST-IL UN FIL CONDUCTEUR DE VOTRE TRAVAIL SUR LES THÉMATIQUES DE MANAGEMENT ?

 

Le sport m'a permis en particulier de trouver des réponses à la question des fondamentaux du management. Les fondamentaux, dans la pratique sportive, ce sont ces gestes à travailler jusqu'à ce qu'ils deviennent des réflexes. On les affine. On revient dessus. En foot, il y a deux fondamentaux : la passe et le contrôle de la balle. Un tir, ce n'est rien d'autre qu'une passe qui ne doit pas être rattrapée. A très haut niveau, la vraie passe, c'est faire "juste". C'est aussi le cas en équitation ou en danse : il faut savoir faire aisément et efficacement des gestes simples. La danse ne repose que sur des figures de base.

 

Ensuite, trois paramètres déterminent le niveau de jeu :

• La vitesse, qui est toujours un paramètre discriminant, que ce soit à l'école, à un test de QI, etc.

• La gestion de l'information, c'est-à-dire la capacité à être en relation avec son environnement, la capacité à s'adapter en amont, à intégrer les informations dans ses prises de décision, à développer une sensibilité un peu comme les coureurs moto qui "sentent" la route. Il faut développer ce "toucher".

• L'enjeu : un penalty contre le Brésil, un but à 25 millions d'euros, une balle de match à Wimbledon… l'enjeu peut freiner le bras.

 

Pour aller vite, il faut simplifier. Pour bien gérer l'info, il faut développer une sensibilité qui permet de prendre en compte l'essentiel, que l'on travaille avec trop peu d'info ou au contraire, comme avec les mails, avec trop d'info. Pour tous ces paramètres, la maitrise des fondamentaux est indispensable. Il faut trouver un équilibre pour développer une fenêtre de performance. Or c'est également éminemment vrai en management. Trouver ses "fenêtres de performance" suppose, comme dans le sport, de travailler beaucoup, de répéter des gestes, de se confronter à la difficulté.

 

 

ENTRAINER UNE ÉQUIPE ET MANAGER DES COLLABORATEURS, EST-CE COMPARABLE ?

 

Manager, c'est croire que l'on peut apporter quelque chose à quelqu'un d'autre. Cela suppose donc non seulement des compétences mais aussi un certain égo. La métaphore sportive est intéressante pour questionner le rôle du manager dans l'équipe. Dans le sport, on sait que si l'équipe met en avant une seule personne, celle-ci peut oublier ce qu'elle doit à l'équipe. De même, on observe bien sur un terrain combien le comportement individuel influence le groupe. Comment fonctionne une équipe ? Une équipe qui gagne ? Dans une entreprise, les 10 collaborateurs meilleurs de promo savent-ils travailler ensemble alors qu'il a fallu, dans leur cursus, qu'ils soient les premiers ? Quelle place dès lors pour le collectif ? Le rôle de l'entraineur n'est pas d'être plus important que son équipe. Quelle définition, aussi, à la notion de carrière ? Une belle carrière n'est-ce pas une carrière dans le temps ? Et un bon cadre quelqu'un qui "joue" 20 ans ? Le manager, comme l'entraineur, doit travailler sur les notions d'efficacité, de potentiel – le sien et celui de ses équipes. Un manager doit savoir organiser dans la durée les compétences. L'intelligence managériale et l'intelligence du jeu sont très comparables. On repère les bons entraineurs à 15 ans : ils ont une analyse, une distanciation. Un manager doit être capable de voir plus loin, de trouver le bon horizon. Il faut savoir mettre en place des stratégies de rupture, savoir ce que l'on sait faire, savoir ce que l'on ne sait pas faire. Quels sont ses points forts ? ses points faibles ? Comment améliorer l'efficacité de chacun ? Un bon entraineur invente tous les jours de nouveaux exercices, de nouveaux jeux pour faire travailler son équipe différemment et maintenir la motivation.

 

 

QUID, JUSTEMENT, DU JEU DANS LA FORMATION ET L'APPRENTISSAGE ?

 

Former, c'est jouer. Les hommes apprennent en jouant. Et jouer c'est un état d'esprit. Le jeu est une affaire sérieuse : il faut prendre du plaisir, s'investir. Mais dans le jeu pédagogique, ce qui est intéressant, ce n'est pas le jeu en lui-même, c'est celui qui anime le jeu. Quand on fait jouer, on ne sait jamais ce qui va en sortir car le propre du jeu est de faire sortir du rôle attendu ou que je crois attendu. Il y a des règles, des codes, il y a un jeu social, mais si on est dans le "convenu" on n'est plus dans le vrai sport, qui est inventif, émotionnel. Dans le sport, pour bien jouer, il faut du relâchement et de la disponibilité. C'est ce qui permet d'être à l'écoute, de sentir le terrain, d'être dans l'intelligence du jeu. Inversement, un enjeu fort, auquel on a tendance à répondre par des réactions attendues, nous tend et nous enferme. En entreprise, si nous étions relâché et disponible, nous serions en mesure par exemple de prendre en compte les remarques du client, d'être à l'écoute du marché, etc. On pourrait alors créer les conditions de la performance. En formation, le jeu ouvre sur toutes ces facettes et le formateur, comme l'entraineur, est alors un coach qui apporte une réponse individuelle dans un cadre collectif. Et il organise la formation avec des phases, comme dans la pratique sportive : l'échauffement et la préparation, l'action, le débriefing, la récupération et l'appropriation, chacun à sa vitesse. On a perdu l'instinct du jeu en raison d'un cadrage précoce. Une formation doit remettre sur le chemin du plaisir.

 

 

LE SPORT EST-IL UN BON MIROIR DES ÉVOLUTIONS DE LA SOCIÉTÉ ET DE L'ENTREPRISE ?

 

Dans le sport, comme dans le théâtre, tout est exacerbé. On est dans le champ de l'émotion, du fantasme. Les instincts ressortent. C'est un miroir grossissant. On voit ainsi les points bloquant. Le sport n'a pas accepté de se poser certaines questions. Le sport féminin a du mal à prendre sa place en raison des freins des hommes comme des femmes. Les fédérations minimisent la violence, comme l'agression de l'entraineur ou de l’arbitre par des joueur et des spectateurs. Le sport est le reflet de ces combats ou de ces phénomènes. Et le sport questionne. Par exemple, est-ce choquant de former des joueurs qui partent ensuite jouer sous d'autres drapeaux ? Mais c'est aussi un bon outil d'anticipation. Le premier entraineur noir aux Etats-Unis, par exemple, même si cela a été très long, anticipait l'élection d'un président noir. L'introduction de nouvelles technologies (simulateurs, caméras thermiques…) ou encore les échanges intergénérationnels reflètent ce qui va arriver dans l'entreprise, par exemple en terme de hiérarchie et de relations avec les jeunes générations. Un exemple : comment on valorise les sportifs de haut niveau ? On a vu des évolutions de carrière intéressantes - Michel Platini devenu président du foot européen, un joueur de volley devenu ostéopathe… – qui montrent que vous êtes toujours ce que vous êtes et que ce qui change c'est comment vous le mettez en œuvre...

 

 

REPÈRES

 

Consultant senior du réseau Formadi, Christian Avezard a été enseignant-chercheur à l'Université de Rennes, responsable pédagogique et DRH. Diplômé en économie et enseignant en marketing, il s’est spécialisé dans les sciences de l'éducation. Passionné par la pédagogie du mouvement et du sport, convaincu des passerelles entre capacités sportives et capacités managériales, il a toujours conjugué sport et formation…

 

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